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Un Plongeon dans la France du Charbon : Le Stage de René REYMOND (FI114 · 1966) à Montceau-les-Mines (1962-1963)
Il était une fois Montceau les Mines
Avant que la France ne prenne conscience des enjeux climatiques, l'industrie et les foyers dépendaient massivement du charbon. Parmi les nombreux bassins miniers du pays, celui de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) était un lieu d'activité intense.
C'est là que René Reymond, étudiant de la Promotion 1966 de l'École des Mines d'Alès, a effectué son stage ouvrier d'une année entre 1962 et 1963. Il troqua alors ses grandes vacances pour un plongeon total dans le monde des mineurs.
Accompagné de son futur complice Pierre, surnommé "ma cane", René nous livre un témoignage puissant sur cette expérience fondatrice. De la vie en baraque mal isolée aux travaux de fond à plus de 800 mètres (abattage, boisage, creusement de galeries), en passant par l'ambiance rigolarde de la mine-école et les relations chaleureuses nouées avec les mineurs, son récit capture l'équilibre entre la dureté du labeur et la fraternité du monde souterrain.
Retour sur une année décisive qui a forgé son indépendance, lui a donné une vision réelle du métier et, finalement, a orienté sa voie.
Il fut un temps, avant que nous prenions conscience du danger que représente le dioxyde de carbone pour la planète, la France brûlait du charbon à tout va. L’industrie était fortement carbonée et beaucoup de foyers se chauffaient au charbon. Le Nord, le Pas de Calais et la Lorraine assuraient la majeure partie des besoins en charbon mais pas seulement. Dans le sud de la France existaient plusieurs bassins miniers: Decazeville et sa découverte, Carmaux, Graissessac, Alès, Gardanne, Saint Etienne, La Mûre dans les Alpes. On en trouvait aussi en Auvergne avec Brassac les Mines en Haute-Loire, Commentry dans le Puy de Dôme et pour terminer au Sud du Morvan, Montceau les Mines appelé aussi le bassin de Blanzy, commune voisine de Montceau où se trouve le premier puits ayant été exploité: le puits Saint Louis.
C’est de ce dernier bassin minier dont je vais parler, pour l’avoir bien connu pendant une année complète entre 1962 et 1963.
J’avais réussi la deuxième partie du baccalauréat et cerise sur le gâteau j’étais admis à l’école des mines d’Alès dont j’avais passé le concours au début de l’été 1962. Je passais donc mes dernières grandes vacances sur un petit nuage en attendant de connaître la destination de mon stage préliminaire qui constituait en quelque sorte la première année de l’école des mines. Un stage ouvrier dans le vif du sujet, au contact de ce que vivent les mineurs de fond.
L’endroit que l’on avait choisi pour moi s'appelait Montceau les Mines, petite ville minière située en Saône et Loire, au bord du Canal du Centre, entre Paray le Monial et Chagny et au nord de Cluny. Une jolie région vallonnée, proche du Morvan, du Beaujolais et des côteaux où s’épanouissent plusieurs grands crus de Bourgogne. Un endroit rêvé pour faire la fête, ce dont nous ne nous sommes pas privés avec mon copain Pierre.
Pierre que je connaissais de vue depuis le Lycée Vaucanson de Grenoble mais qui se trouvait dans une autre classe que la mienne, rentrait aussi à l’école des mines et allait aussi à Montceau, ce que j’ignorais. Nous avons vraiment lié connaissance sur le quai de la gare de Paray le Monial où s’imposait un changement de train de quelques heures pour Montceau. Moi j’habitais la banlieue grenobloise et lui Corps, un village du sud Isère, connu du fait de sa proximité avec le sanctuaire de la Salette à la limite de l’Isère et des Hautes-Alpes, nous étions donc tous les deux dauphinois, issus du même lycée technique, ce qui explique peut-être notre compagnonnage.
Je passe sur les premiers jours d’installation qui nous conduisirent de l’hôtel à une baraque mal isolée ayant abrité des prisonniers allemands pendant la seconde guerre mondiale. Cette baraque accueillait tous les stagiaires issus de l’école des mines d’Alès ou de Douai et avait l’avantage d’être gratuite. La mine nous fournissait le charbon pour se chauffer, le sac à viande pour dormir et un vélo pour se déplacer. Que demander de mieux? Le sac à viande était changé régulièrement, sans frais. L’endroit s’appelait Rouverat et demeure dans notre souvenir un petit paradis, nous y avions noué des relations amicales avec nos voisins et quelques filles de notre âge habitant à proximité.
Notre premier contact avec la mine s’est fait à la mine école de Saint Louis où nous sommes restés plusieurs semaines pour nous familiariser avec les outils et certaines techniques minières comme le boisage. Nous étions encadrés par d’anciens mineurs de fond avec qui nous avions des relations privilégiées et qui outre du métier nous entretenaient de la vie Montcellienne. L’ambiance était amicale voire rigolarde. Une pensée en passant pour Louis Segaud, responsable de la mine école, et pour le Ch’ti Li, un moniteur fort sympathique, malheureusement atteint d’une silicose avancée et qui, j’en suis certain, n’aura pas jouit d’une longue retraite.
Notre séjour à la mine école terminé, nous avons rejoint le travail du fond dans divers puits du bassin, d’abord à Saint Louis, ensuite à Darcy où nous sommes restés jusqu’à la fin de notre stage. Nous y avons travaillé soit seuls soit en équipe avec d’autres mineurs et avons connu tous les postes, l’abattage, le boisage, le remblayage et le foudroyage, le creusement des galeries dans le rocher (le pire travail qui soit et à qui je dois en partie ma surdité), et tous les travaux annexes liés aux réseaux d’eau, d’air comprimé, de ventilation.
Nous avons connu la poussière, le bruit, la chaleur (à Darcy nous descendions à plus de huit cent mètres et la chaleur était telle que la plupart des mineurs travaillaient complètement nus, nous, gardions le slip). Dans cette ambiance un tantinet infernale, nous avons, là aussi, noué des relations chaleureuses et pris les habitudes des mineurs, qui entre eux s’appelaient “ma cane”. Pierre est devenu ma cane et réciproquement, nom qui nous est resté jusqu’à la fin de nos études à Alès où nous étions connus sous le vocable des "deux canes".
Encore aujourd’hui, nous utilisons ce joli nom dans nos messages électroniques, en y ajoutant parfois un gracieux “vieille piau de treuffe” rappelant notre amitié avec Roger Maillot, un authentique Montcellien, féru de patois bourguignon, qui nous a accompagné de son amitié et de sa culture (musicale entre autre) pendant toute la durée de notre stage. Un grand merci à lui, qui repose désormais au cimetière de Saint Vallier, à côté de Montceau.
En dehors de la mine, nous prenions nos repas à la cantine des Gautherets, chez la Madeleine, une grande femme au visage avenant, la quarantaine bien sonnée mais très belle encore. On y mangeait pour un prix dérisoire, entourés de vieux mineurs polonais célibataires, résidents de la cantine, dont le seul passe temps était de boire du vin, assis seuls à une table devant une chopine, muets et profondément tristes. On y croisait régulièrement le facteur avec qui nous faisions table commune et nous nous régalions d’écouter la belle mère de la Madeleine et son fort accent bourguignon, nous parler de Galuzot gare, en roulant les R.
Nos divertissements allaient du volley-ball que nous pratiquions avec les moniteurs du centre d'apprentissage, à la baignade à l’étang de Berthaut, au bal parfois et quand mon frère André, appelé au service militaire, me prêta son scooter, nous partîmes à la découverte du Morvan. Avec Roger Maillot, qui n’avait pas de voiture mais beaucoup d’amis, nous avons découvert les caveaux du Beaujolais, quelques bons restaurants autour de Montceau, le coq au vin et diverses spécialités gourmandes locales.
Pendant notre séjour nous avons pris des cours de conduite dans une auto école tenue par un mineur que nous connaissions et avons passé le permis voiture avec succès après une vingtaine d’heures de cours seulement. Nous avons également passé le CAP mineur que nous avons réussi, tout en s’étonnant du niveau des épreuves écrites.
Si je devais faire le bilan de cette année de stage, il est clair qu’elle a été une période fructueuse par de nombreux aspects, nous y avons rodé notre indépendance et nous sommes frottés au monde réel, dans sa dureté comme dans sa fraternité. Nous y avons acquis une vraie vision d’un métier, maintenant en voie de disparition en France mais qui perdure ailleurs dans le monde. C’est vraisemblablement grâce à elle que la vie m’a détourné de cette voie qui j’en suis persuadé n’était pas faite pour moi, épris que je suis d’air pur et de lumière.
Alès, Serre de Laurian, le 30 Novembre 2025
René Reymond promotion FI 114 · 1966

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